Grand-avuncularité

J’ai déjà évoqué ici mes seize oncles et tantes, quatorze paternels et deux maternels, mais je n’ose vous les infliger encore. Les oncles et tantes, on n’y peut rien : ce n’est pas une collection qu’on fait et qui se montre ; plutôt un héritage, une richesse dont on peut être fier comme d’un vicomtat, d’une chevalière armoriée ou d’un nom à particules multiples, mais dont l’usage veut qu’on ne parle point.

Passons donc directement aux grands-oncles et aux grands-tantes.

Cela se fait tout à fait, en société. Lors d’un dîner, untel parle du gecko entré dans sa chambre provençale, tel autre du papillon précoce apparu dès février, exhumez un grand-oncle. Tout le monde en a, ce qui rend les anecdotes vraisemblables ; mais personne n’en connaît vraiment, ce qui leur donne le prix du mystère.

Ceux qu’on avait pu croiser impressionnaient par leur prénom suranné, leur odeur surprenante et l’affirmation qu’on avait sauté sur leurs genoux. Surtout, c’étaient des frères ou des sœurs du grand-père ou de la grand-mère, ce qui suggérait une époque où les grands-parents étaient suffisamment jeunes pour avoir un petit frère comme j’avais Ludovic, une époque indéfinissable qu’on essayait vainement de situer, quelque part entre les dinosaures et les peintures rupestres, peut-être sous René Coty.

Ils avaient des occupations formidables : la grand-tante Léone passait l’été dans son appartement de Cagnes-sur-Mer ; le grand-oncle Bébert était bouilleur de cru ; je soupçonne la Didile d’avoir vécu avec la Zézette.

Un grand-oncle et une grand-tante ont tenu la Coop de Bruère-Allichamps. On était allés les voir une fois et j’ai le souvenir d’une caverne d’Ali Baba avec vue sur la colonne miliaire qui marque le centre de la France. J’aurais juré que ce grand-oncle, le frère de mon grand-père Jean, m’avait offert une paille puisée dans son inventaire. Mais on m’affirme que je confonds avec la visite rendue à un cousin de ma mère qui tenait un bistrot dans l’Allier. Et le plan de Bruère prétend que la Coop ne fait pas face à la Colonne. Qu’importe !

Ma mère, dont la passion pour la rubrique nécrologique occupe la retraite, m’a appris que le grand-oncle-et-la-grand-tante-de-la-Coop-de-Bruère étaient morts – lui, il y a quinze ans ; elle, la semaine dernière. Je n’ai pas osé demander comment allaient Bébert et son alambic.