Mireille et l'institutrice

   

J’ai eu beau me creuser la tête ces derniers jours, impossible de me rappeler le nom de mon institutrice de CP. Ça tombe bien, il n’est pas question d’elle dans l’historiette qui suit.

En CE2 et CM1, j’ai eu la même institutrice : madame Juniet. Cette petite dame à la choucroute de cheveux blancs, qui approchait de la retraite lorsqu’elle fut mon professeur, ressemblait beaucoup à ma grand-mère Mireille. Elles devaient d’ailleurs probablement avoir le même âge. Elles ne se sont rencontrées qu’en une occasion, alors que Mireille était venue me chercher à la sortie de l’école.

Madame Juniet suggérait à ses élèves de lire Télérama (bien plus qu’un magazine de télévision !), aimait les camemberts pas trop salés (le Président, à ce titre, était à fuir) et était amie avec le directeur du cinéma de Pantin le plus proche de l’école, qui s’appelait à l’époque Ciné 104 et avait une programmation tournée vers les classiques et, disons, les films d’auteur. J’ai eu la chance d’aller beaucoup au cinéma pendant deux ans, une fois toutes les deux semaines au moins, je dirais ? nous avions vu Le Voleur de Bagdad (celui de 1924 réalisé par Raoul Walsh, avec Douglas Fairbanks), Les Quatre Cents coups de François Truffaut ou encore Le Roi et l’Oiseau de Paul Grimault. En dehors de cela, madame Juniet était assez vieille école, catho de gauche peut-être, bien qu’elle n’en laissait rien paraître dans son enseignement. J’ai l’impression de me souvenir encore aujourd’hui d’une foule incroyable de choses apprises durant ces deux années : les temps composés, l’histoire du Moyen Âge dans un luxe de détails, comment effectuer à la main une multiplication de nombres de deux chiffres et plus, ou encore une division. Oui, je dois à cette institutrice une part non négligeable de mon immense culture (mais pas de ma légendaire modestie, ajouterait Fabrice).

Je dois aussi à madame Juniet la découverte d’une activité que je pratique toujours avec plaisir aujourd’hui : les mots croisés. Elle avait pour habitude de distribuer des grilles pour occuper ses élèves qui avaient terminé les exercices avant les autres ; comme j’étais bon élève, cela m’arrivait souvent. Ses mots croisés étaient des grilles de cinq à six cases horizontalement et verticalement, relativement simples à résoudre. Les jours passant, je suis parvenu à épuiser son stock de grilles, ce qui en plus de trente ans d’enseignement ne lui était jamais arrivé. Elle dut en commander de nouvelles, plus grandes et plus difficiles, pour me faire patienter jusqu’à la fin de l’année scolaire. Je pense que c’est à cette époque que je commençais aussi à jouer aux mots croisés avec Mireille, ainsi qu’avec Roland. Est-ce un jeu que l’on pratique spécialement avec ses grands-parents ? Je dois reconnaître que le niveau de Roland était bien supérieur au mien, j’ai dû attendre l’adolescence pour pouvoir espérer l’aider.