L'Europe ! L'Europe ! L'Europe !

 

Portrait de l’auteur en Européen moyen.

Je termine en ce moment un superbe roman d’Aurélien Bellanger, Le continent de la douceur. Au prétexte d’une évocation d’un petit pays imaginaire coincé on ne sait où entre l’Autriche, l’Italie et la Yougoslavie, avec des personnages qui ont tous un rapport avec ce pays, Bellanger écrit une véritable ode à l’Europe. La lecture de son livre est réjouissante, d’autant plus ces temps-ci.

Je suis loin d’avoir exploré toute l’Europe. Je reviens d’Espagne où j’allais pour la première fois, et encore n’était-ce qu’à Madrid pour quelques jours ; plusieurs pays de l’Union Européenne attendent encore une visite de ma part (dont certains qui me tentent beaucoup, au moins le Portugal, le Danemark ou l’Irlande). Je connais Londres par cœur après plus de vingt passages ces trente dernières années, je me désole du brexit comme beaucoup ; je voyage souvent en Allemagne, pays que j’adore ; j’ai vécu à Bruxelles près d’un an ; je n’ai jamais vu certaines capitales, aussi belles ou importantes soient-elles : Lisbonne, Budapest ou encore Rome. Mon immense culture est bien limitée, je méconnais des pans entiers de l’histoire de deux pays frontaliers de la France, l’Espagne et l’Italie (regrettable !), je ne parle même pas de leur géographie. Et si je cherche en vain le dernier auteur espagnol que j’ai lu, c’est certainement que je n’en ai lu aucun.

Je ne parle pas trop mal l’anglais et m’efforce de lire dans leur langue les écrivains anglophones, c’est un plaisir et une excellente habitude que je tiens de Fabrice (et quoiqu’on en pense c’est à la portée de tout un chacun, pour peu que l’on choisisse ses auteurs et qu’on ne s’attarde pas aux détails, qui viennent à l’usage). Pendant le confinement j’ai lu un livre en allemand sur les gravures de Rembrandt et me suis aperçu que c’était relativement aisé, même avec mon niveau qui a bien baissé ; j’aimerais parler l’italien beaucoup mieux que ma débrouille actuelle qui n’est pas reluisante ; il est fort possible que je ne lise jamais Magris ou Pessoa dans le texte original.

Lorsqu’on se déplace dans n’importe quel pays voisin de la France pour raison professionnelle ou touristique, sauf peut-être en Norvège on est bien accueilli. On éprouve alors ce sentiment peu aisé à définir précisément, que l’on pourrait appeler l’européanité : l’impression de partager beaucoup plus qu’une histoire commune, alors même qu’on n’en connaît peut-être mal les contours ; beaucoup plus que des proximités de langue (qui certes s’appuient quasiment toutes sur le latin et le grec) même si on baragouine seulement la langue du frontalier ; beaucoup plus qu’une monnaie identique, bien que ce soit indéniablement pratique pour le touriste et bénéfique pour l’économie. Alors, quoi ? Est-ce ce désir de vivre ensemble dont parle Renan (dans son Qu’est-ce qu’une nation ?), qui se transpose au-delà des frontières de son propre pays ? Est-ce cet impalpable enthousiasme d’avoir confié des pans entiers de notre destin à une entité supranationale, la préférence de l’union des forces aux faiblesses du repli sur soi ? Sont-ce les arts qui nous rapprochent si étroitement, le genre roman qui établit sa puissance au XIXe en France, au Royaume-Uni, en Allemagne ; l’Art nouveau qui fleurit à peu près simultanément partout en Europe, et tant d’autres exemples ? Oui, c’est un peu tout cela à la fois qui fait dire à l’auteur le titre de ce billet, pour citer le Général de Gaulle, en sautant sur sa chaise comme un cabri.