L'effet boudin

 

Ma contribution à ce blog, longue série de micro-chapitres jamais loin de souvenirs d’enfance et d’adolescence.

Après le choc d’une première lecture à quatorze ou quinze ans, j’ai relu Kaputt il y a une dizaine d’années et lui ai alors adjoint La Peau, autre grand livre que je n’avais pas lu. Ces dernières semaines, le Journal d’un étranger à Paris de Malaparte, évocation des années 1947-1948 qu’il a passées à Paris, et son Journal secret 1941-1944, qui n’est finalement que le récit de ses missions en Finlande et de sa rédaction de Kaputt, m’ont enchanté.

Une brève recherche ces jours-ci m’a convaincu de lire les traductions de quelques-uns de ses livres publiées aux éditions Les Belles Lettres, que je ne connais pas.

Je me suis également lancé dans la lecture de la biographie de Malaparte de Maurizio Serra, un écrivain que je découvre ; le livre est passionnant et superbement écrit, plein de fines pointes d’humour et de tant de ces phrases qui vous convainquent que vous êtes en compagnie d’un grand écrivain. Le biographe ! pour Malaparte, on le savait déjà.

Voici deux passages de l’introduction qui donnent une bonne idée du style de Maurizio Serra.

Serra évoque Malaparte voyageur et son absence de séjour au Japon, puis conclut :

Une photographie de 1949 qui le montre nu-pieds, affublé d’un maillot de corps et d’un vieux pantalon, dans une attitude qu’on dirait presque de danse rituelle, tandis qu’il empoigne face à la caméra deux larges épées recourbées, est l’hommage le plus saisissant que Malaparte ait consacré sans le savoir à la patrie de ses pairs, Kawabata et Mishima. Comme le samourai qui sait être lui-même dans son contraire, Malaparte, tirant profit jusqu’au bout de ses faiblesses comme de sa force, a préservé la composition de son personnage dans les images où, hirsute, hagard mais une dernière fois triomphant, courtisé par la gent littéraire et les grands de ce monde venus lui rendre hommage en procession derrière le camérier secret du Pape, il s’éteint sous les caméras et les bouquets de fleurs dans un lit de clinique dont il a fait son ultime thébaïde.

Serra cite une lettre de Malaparte qui vante à son interlocuteur l’absence de la moindre bouteille chez lui et le fait que ses pensées n’ont jamais été embrumées par l’alcool. Serra commente :

Éternel cabotin ! À la même époque des témoignages et des photos nous le montrent fumeur de Gauloises et de Gitanes et amateur de champagne. Casa Malaparte, à Capri, sera d’une beauté sévère jusqu’à l’ascétisme, mais sa cave regorgera de grands crus. Peu dépensier, du moins avec son argent, il investit avec parcimonie des revenus souvent considérables dans ses résidences et son mobilier, ce qui ne l’empêchera pas d’arriver à peu près ruiné à la fin de sa vie. Il aime le luxe des palaces et la beauté des couverts, beaucoup plus que le confort des lits ou la diversité des mets, attentif, bien avant la mode, au décompte des calories. En amour, les soins de toilette et l’art des préliminaires lui importent plus que l’assouvissement physique. Il a le culte du corps et de la forme, qu’il poursuit avec la discipline d’un athlète et l’apprêt d’un mannequin. Cet édifice si bien entretenu cédait parfois à quelque chose de mou et d’indécis, quand il s’animait, ce qu’un témoin malveillant appela l’effet « boudin » ou « crème caramel » chez Malaparte.

Je m’en tiens là, il faudrait citer toute cette très belle introduction.