Exercice de clavier se composant d'une aria avec différentes variations, pour le clavecin à deux claviers

Ou plus simplement de nos jours : Variations Goldberg. C'est une œuvre de Bach qui m'est très chère, que j'ai écoutée en boucle à certaines époques, et dont il doit y avoir une trentaine de versions dans la discothèque.

Bach a écrit très peu d’œuvres à variations : celle dont il est question ici, un petit jeu de variations dans le goût italien (une œuvre de jeunesse) et les variations canoniques pour orgue (une œuvre de vieillesse, austère et difficile). Les Variations Goldberg datent de la fin de la vie de Bach (1742) et résument bien son art. Elles doivent une grande part de leur célébrité à l'enregistrement de Glenn Gould de 1955, au rebond terrible, qui swingue tout ce qu'il peut, jetant un grand coup de torchon sur une musique qui était à l'époque réservée aux spécialistes.

On commence par une aria toute simple, en forme de sarabande, une danse lente et lascive. Trente-deux mesures, une petite page. Suivent trente variations, et le recueil se clôt sur l'aria qui est répétée : trente-deux pièces, clin-d’œil chiffré, Bach aimait ce genre de chose. Les trente variations se découpent en groupes de trois : une pièce de caractère, une étude de virtuosité, un canon. Ce que Bach varie, ce sont les huit notes de la basse de l'aria, cela se faisait beaucoup à l'époque baroque. J'ai presque tout dit : avec un plan assez simple Bach permet la création de tout un monde.

L'instrument, déjà. Cette œuvre est une des seules pour laquelle Bach impose l'instrument, le clavecin avec deux claviers. Toutes les autres œuvres à clavier de Bach qui ont pu être imprimées ou pour lesquelles on a des indications demandent justement un Klavier, qui en allemand peut désigner à peu près n'importe quel instrument à clavier. Deux claviers : c'est plus facile pour les croisements de mains, et en général (cela dépend de l'instrument) les clavecins à deux claviers comportent des jeux plus sonores, donnant un caractère plus théâtral ou pompeux à la pièce. L’œuvre n'est pas simple à jouer : contrepoint serré, triples croches, croisements de mains ; c'est qu'elle est au départ un exercice. Les Goldberg sont évidemment le territoire des clavecinistes, mais également des pianistes, voire d'instruments ou d'ensembles plus variés. J'en ai des versions à l'orgue, à deux pianos (petit bras), à l'accordéon, à la harpe, par un ensemble de clarinettes... Ça sonne aussi bien ; une des qualités de la musique de Bach est son côté désinstrumentalisé : à peu près tous les supports peuvent lui convenir. Pour cette même raison, de nombreuses transcriptions d’œuvres à clavier vers l'orchestre (comme la toccata et fugue en originellement pour orgue) ont vu le jour, mais c'est une autre histoire. Pour ces variations, on trouve aujourd'hui dans le commerce quelque deux cent versions au clavecin, autant au piano. Bref, on a l'embarras du choix.

La musique : les plus rapides à jouer le cycle mettent une bonne demi heure, les plus lents une heure et demie. Deux raisons à cela : les interprètes jouent avec plus ou moins de brio, et chaque pièce comporte des reprises. Les intégristes baroques disent qu'il faut faire toutes les reprises, certains n'en font que certaines, d'autres aucune. La reprise permet, à l'époque baroque, de varier encore en ajoutant des ornements, un petit mordant, un petit trille en plus à droite à gauche. Au piano, c'est l'occasion de faire entendre certaines voix plus que d'autres, de mettre en évidence un motif ou un autre avant ou lors de la reprise. La musique proprement dite est diverse. Les canons progressent par intervalles : le premier est à l'unisson, le suivant à la seconde, etc., jusqu'à la neuvième. Au lieu du canon à la dixième, Bach met un quodlibet : un petit contrepoint à quatre voix sur deux chansons populaires. Les autres morceaux, études ou pièces de caractère, comportent de nombreuses danses. Œuvre de virtuosité, son exécution est très jolie à voir, particulièrement sur un piano : les croisements sont l'occasion de belles acrobaties digitales, et certaines variations n'ont rien à envier aux plus difficiles des études de Chopin. Tout le charme de l’œuvre vient de la variété des atmosphères : la musique est tantôt mélancolique, drôle, désespérée ou franchement joyeuse. Les Variations Goldberg rappellent à tout instant que, si Bach apparaît dans l'imaginaire collectif sous les traits d'un vieux père fouettard qui a écrit deux trois tubes de la musique classique et un paquet de cantates, sa musique peut atteindre un degré de complexité élevé en restant d'apparence simple ; et qu'elle porte ici au plus haut point une de ses qualités les plus belles : la jubilation.

(Aveux d'incompétence : je voulais faire un billet pour dire l'amour que j'ai pour cette œuvre, comment elle m'émeut, comment j'ai envie de sautiller partout, comment je sifflote, chantonne, dirige dans le vide chaque morceau. Raté, il ressort un truc un peu boursouflé et didactique, comme un repas de Noël un peu copieux et convenu.)