Un soir de concert

A l'auditorium de Lyon, les concerts commencent à 20 heures. Vous pouvez arriver avant, vers 19h, pour assister à un propos d'avant concert qui vous apprendra deux ou trois mots sur les œuvres au programme. (Les conférenciers ont malheureusement l'habitude de passer des extraits des œuvres. Je comprends mal l'idée vu qu'on va les entendre quelques minutes après.)

19h50, vous vous asseyez, vous embrassez la salle d'un regard. Deux possibilités : une œuvre ou un concerto (un morceau pour soliste et orchestre) très connu va être joué. La salle est alors pleine à craquer, c'est la bousculade dans les gradins, le brouhaha général. L'autre terme de l'alternative : le programme comporte des œuvres peu connues, ou pire de la musique contemporaine. Ou d'un compositeur oublié. La salle est alors à peine remplie au quart. Il faut dire que Joséphine-Eugénie, dans son petit triplex du boulevard des Belges, n'aime guère s'aventurer à écouter au-delà de Beethoven ou Chopin.

20h03, les lumières se tamisent. Quelques instants avant, les musiciens de l'orchestre sont entrés sur scène, certains même étaient là avant pour vérifier une dernière fois un trait ou l'autre de leur partie. Tous sont donc arrivés, sauf le premier violon qui en France arrive seul après tous les autres musiciens ; il a droit à quelques applaudissements pour lui seul, premier parmi ses pairs. (En Allemagne et en Angleterre, le premier violon arrive plus démocratiquement avec tous ses collègues et ne bénéficie pas de ce petit traitement de faveur.) Le silence se fait, l'orchestre va s'accorder. Le hautbois solo se lève et donne un premier la à tous les bois et cuivres. Deuxième la du hautbois : le premier violon épaule alors son instrument et le relaie à l'ensemble des cordes. Le hautbois étant le plus juste des instruments de l'orchestre symphonique, c'est à lui que revient la primeur de faire s'accorder ses collègues. Une exception toutefois : la présence d'un instrument à clavier. A fortiori si c'est un orgue, il n'est plus temps d'en modifier l'accord : c'est donc sur son la que tout le monde va s'accorder.

Le silence se fait ; le chef arrive ; le concert commence.

En plus de la musique, on entendra plus ou moins de bavardages, froissements de papier, fouilles dans des sacs à main, toux diverses. Le public lyonnais est peu discipliné (c'est particulièrement vrai des gens âgés), tout se perd ma bonne dame si les vieux sont les plus impolis. Si un concerto est joué, en général à la fin du premier mouvement quelques mécréants ne se priveront pas d'esquisser un début d'applaudissement. Sévère chorale de chut réprobateurs s'ensuit immanquablement, menée par Joséphine-Eugénie et ses amies du Club-des-bonnes-manières-à-respecter-en-société. On ne sait pas trop bien pourquoi il faudrait se retenir d'applaudir, si la musique fut particulièrement bonne, le morceau spécialement bien enlevé. Ce sont souvent les mêmes qui discutent avec leur voisin pendant la musique et qui ne tolèrent pas un clap après, allez comprendre.

La première partie du programme se termine, suit un entracte. Certains snobs en profitent pour partir après le concerto, ce serait dommage d'entendre la symphonie qui suit en deuxième partie, pensez, la musique risquerait d'être meilleure. A la fin du concerto l'artiste aura parfois joué un bis, souvent seul, l'orchestre faisant alors partie du public. Il est rare que l'on entende un vrai bis, c'est-à-dire que l'un des mouvements du concerto soit joué à nouveau.

Après l'entracte, reprise. A la fin de la deuxième partie, il est encore plus rare que l'orchestre donne un bis (j'ai du le voir deux ou trois fois en huit ans). Dès la dernière note jouée, une partie du public se lève et monte les escaliers quatre à quatre pour atteindre la sortie, de peur de rester enfermé. Les autres applaudissent, rappellent plusieurs fois le chef parfois. En France, on pratique peu voire pas du tout la standing ovation, plus courante dans d'autres pays. Le public applaudit beaucoup, même si ce fût mauvais (cela arrive rarement). On ne siffle pas, comme cela pourrait se produire à l'opéra ; on ne s'abstient pas non plus d'applaudir en signe de protestation. Fabrice me rappelle souvent que cela arrive parfois, en Israël.

Pour ne pas coucher là, après le quatrième ou cinquième rappel les musiciens d'orchestre se font la bise et quittent la scène, mettant fin aux applaudissements. Alors, les gens de goût rentrent chez eux, vont manger un morceau, croquent un carré de chocolat et se servent un cognac ABK6, ainsi dénommé parce que c'est son nom. Par la suite, ils se rêveront peut-être sur scène, à faire de grands gestes arrondis pour modeler une phrase à la mélodie infinie, comme dans le mouvement lent de la cinquième symphonie de Sibelius. Et les cygnes s'envoleront...

Commentaires

1. Le mardi 27 mars 2012, 20:46 par Bill

Ce que tu peux être intolérant avec Joséphine-Eugénie. Si elle ne peut pas parler de sa vessie qui la lâche à Marie-Louise (rien ne va plus, en effet, ma très chère amie) pendant le concerto, elle ne pourra certainement pas en parler entre deux mouvements, vu ces mécréants qui applaudissent invariablement. Je vous jure, les gens n'ont aucunes manières...