Jeanne

Jeanne a revêtu ses beaux atours de lumière. Une veste dans le style de Christian Lacroix, une jupe de laine épaisse, de coupe moderne, et des bottes de cuir qui ne sont plus de son âge. Jeanne ne le fait d’ailleurs probablement pas, son âge, mais vous ne le saurez pas plus que moi. Jeanne me fait penser à ma grand-mère Madeleine, 84 ans à la fin du mois, qui ressemble à la reine d’Angleterre mais que vous ne verriez jamais à un concert (Madeleine est la femme de Roland). Jeanne, elle, ne ressemble qu’à une dame âgée pomponnée pour la sortie. Elle a du mal à s’assoir ; j’ai cru que j’allais me proposer de l’aider à se relever mais non, vaille que vaille elle s’est extirpée de l’assise, son orgueil pour seule force. Je lui avais ramassé sa canne coincée derrière les sièges, qu’elle ne pouvait pas attraper.

C’est que Jean n’est plus à son côté, et Jeanne a cet triste et doux des vielles gens esseulées.

Jeanne n’a pas fait un bruit de toute l’œuvre jouée. Elle a applaudi. Elle est restée discrète, sur son quant-à-soi : plus de Jean à qui donner un mouchoir après avoir farfouillé forte dans son sac pendant les pianissimi de violons. À la fin du concert Jeanne a remercié le jeune homme à son côté du ponctuel service, a gravi voûtée les marches de la salle, pour les descendre cahin-caha jusqu’à la sortie.

Ô fortune ! pense à la Jeanne solitaire qui a aimé la musique de ce soir, et donne-lui encore mainte occasion de jouir de la vie.