Quelques lectures en vrac

1. Patrick Modiano

Je ne suis pas un inconditionnel de Modiano. J’en avais lu cinq ou six il y a quelque temps, après des années d’enfance à croiser du regard ceux de la bibliothèque de ma mère. Résultat mitigé ; tout ne m’avait pas convaincu. Un peu comme pour Woody Allen ou Clint Eastwood, pensais-je, Modiano doit produire épisodiquement un chef d’œuvre pour cinq opus courants (parfois vraiment dispensables). La Place de l’étoile, son premier roman, m’avait frappé par son ironie et son sarcasme décapants ; Un pedigree par la brutalité, la nudité violente de ces phrases si simples sur le père ; Rue des Boutiques Obscures par la manière dont on découvre les personnages comme dans un demi sommeil, entre les nappes d’un brouillard qui se dissiperait par endroits, jusqu’à une découverte d’ensemble du paysage. L’Horizon, Accident nocturne, Les Boulevards de ceinture m’avaient laissé plus froid.

J’aime le côté sec et décharné de sa phrase, ses personnages que l’on ne connait souvent que par touches et dont le baroque des noms de famille tient lieu de description. Et cette déambulation permanente dans Paris, tous ces noms de rues, ces numéros, comme si l’auteur voulait, par l’accumulation des adresses, que l’oeuvre garde le souvenir du passage, que la mémoire des lieux soit gravée dans la page.

J’ai voulu retourner y voir d’un peu plus près, après avoir lu dans la presse et ailleurs l’œuvre vantée dans sa cohérence. La ronde de nuit, son deuxième roman, est dans la lignée de La Place de l’étoile, mais nettement moins réussi. Dora Bruder se rapproche de Un pedigree. Modiano (ou un autre) suit la trace d’une jeune fille juive dans Paris pendant la guerre. Ces 150 pages sont fortes, émouvantes : avec très peu de moyens littéraires (j’allais dire linguistiques), Modiano reconstruit un parcours halluciné de grisailles, autour de Picpus et Bel-Air. Il nous rend Dora familière, nous attache à son destin emporté par l’histoire. Peut-être ai-je été particulièrement touché parce que je connais bien le douzième arrondissement, je ne sais pas.

Je suis heureux de son prix Nobel, il le mérite certainement autant que l’aurait mérité un Jean Echenoz ou un Pascal Quignard.

2. Jean-Louis Fournier

Trop : non. Trop, c’est trop.

3. Christophe Donner

Quiconque exerce ce métier stupide mérite tout ce qui lui arrive : une tranche de la vie des producteurs et cinéastes Rassam, Berri et Pialat. Les personnages brassent des millions, courent après, ne vivent que par et pour le cinéma. Un roman enlevé et attachant, comme le sont souvent les romans de Donner, où tout va vite. Un révélateur du milieu et de l’époque, et de la nôtre en miroir ?

4. Pierre Desproges

Encore des nouilles : courez lire cette petite merveille ! Desproges, chroniqueur culinaire dans Cuisine et Vins de France, y a été aussi drôlement féroce qu’ailleurs. Léger, virevoltant, avec ses phrases à rallonge, ses adjectifs ajoutés partout. Pourtant le fond est souvent sérieux. Ici il fustige la misogynie (voir la chronique où il explique que dans son couple, c’est sa femme qui goûte le vin), là il moque le côté coincé de certains lecteurs bien-pensants du magazine. C’est pétillant, on dirait du champagne bien frais. Dommage que cela soit si court. J’en aurais bien repris plusieurs coupes.