Soumission

Il faut savoir parfois être moins bête que l’on ne se montre, dépasser ses a priori, les critiques, le tapage médiatique. J’ai donc lu le dernier livre de Michel Houellebecq, Soumission.

Jusque là, du même auteur, je n’avais lu que La carte et le territoire (dont j’avais dit quelques mots ici), feuilleté Plateforme ou Les particules élémentaires, je ne sais plus lequel des deux, et lu un petit tiers de son recueil de poèmes Configuration du dernier rivage. Disons que j’avais lu 1,33 livres de cet auteur, pour être gentil.

La carte et le territoire était artificiel, faux. Ses personnages, qui se voulaient peut-être typiques de notre époque, datés, fabriqués, englués en 2010, et tellement peu crédibles. Des pantins. L’ensemble m’avait paru bien vide. Peut-être que je n’y comprends rien, que c’est justement ce que Houellebecq avait cherché à faire. En tout cas, je trouvais cela aux antipodes de l’idée que je me fais de la littérature.

Configuration du dernier rivage : des vers (enfin, ceux que j’avais lus) plats et mous, indigents, sans la moindre étincelle de subtilité qui démarque les poètes, ceux qui jouent avec la langue, les sons, les rythmes.

Je laissai tout cela dans un coin, essayant de ne pas y penser, et attaquai Soumission.

Dans Soumission, nous sommes en 2022. Un professeur de lettres d’une quarantaine d’années, spécialiste de Huysmans, passe sa vie monotone, sans joie, à baiser quelques étudiantes et à donner de temps à autres un article pour le Journal des dix-neuviémistes. Un parti islamiste vient d’arriver au pouvoir, qui a fait main basse sur l’enseignement. Le professeur perd son poste, mais il pourrait le retrouver s’il se convertissait à l’islam.

Évacuons d’emblée un point : il n’y a rien d’islamophobe dans le roman, au contraire, m’a-t-il semblé. Le président de l’université Sorbonne Paris 3, converti, est le plus heureux des hommes avec ses quatre femmes ; le président Ben Abbes fraîchement élu est présenté comme brillant homme politique, intelligent, etc. En revanche, Soumission est plein de machisme et de mysoginie. Je ne vais pas m’étendre, je serais graveleux. Et puis cela semble être une constante de Houellebecq ; passons.

Mise à part la complaisance de Houellebecq à décrire les scènes de sexe, et mal, ainsi que son abus détestable de l’italique (j’ai compté jusqu’à neuf expressions en italique dans une seule page), son roman m’a semblé bien écrit. Ce n’est certes pas La bataille, de Patrick Rambaud, mais cela se lit. Les passages sur Huysmans sont les plus intéressants, adroitement mélés au récit. En revanche, l’anticipation qui fonde son roman, c’est-à-dire l’accession au pouvoir d’un parti islamique d’ici sept ans, est donnée comme acquise. Houellebecq ne s’embarrasse d’aucune explication, fût-ce quelques phrases simples, pour dire pourquoi ou comment on en est arrivé là. Il y a les très hauts scores du FN, la chute des partis historiques que sont le PS et l’UMP (surtout l’UMP en fait), d’accord, mais Houellebecq ne s’en sert jamais pour justifier quoi que ce soit. Il se borne à constater. C’est embêtant parce que c’est ce seul fait, l’accession au pouvoir de la Fraternité musulmane, qui sous-tend toute la progression de son intrigue. Du coup, on n’y croit pas du tout.

Son personnage principal parle à la première personne. Il nous raconte sa vie, à le croire profondément chiante dans à peu près tous ses registres. Pourtant, professeur spécialiste de Huysmans, on imaginerait qu’il ait des satisfactions intellectuelles, mais Houellebecq les donne toujours pour transitoires. Par exemple : il prépare l’édition de Huysmans dans La Pléiade, doit en rédiger la préface, mais une fois la tâche achevée, il considère qu’il retombe dans l’ennui et la monotonie de sa petite vie et qu’il ne fera jamais rien de mieux jusqu’à la fin de ses jours. Cette vision foncièrement pessimiste de l’existence est à la longue assez usante. En tout cas, je ne suis pas parvenu à y adhérer. (Tous les professeurs d’université seraient dépressifs, s’emmerderaient à ce point ?)

Ses personnages secondaires sont en carton-pâte. Peu fouillés, sans aucune épaisseur, on n’y croit pas plus qu’au fil directeur du roman. De ce point de vue, Houellebecq est très proche de Marc Levy, mais chez Levy les gens s’aiment et sont heureux. Ici encore, la crédibilité du roman en pâtit fortement. Les personnages secondaires se voudraient des types (l’étudiante qui fréquente le prof, le président d’université arriviste, le collègue professeur concurrent minable), ils ne sont que des marionnettes. Un exemple : Myriam, l’étudiante et amante passagère du narrateur. On ne sait rien d’elle, à part qu’elle a 25 ans, qu’elle porte des jupes courtes, qu’elle suce, et que comme toutes les autres elle finit par abandonner le narrateur parce qu’elle aura rencontré quelqu’un. Un fantôme. Pas de psychologie, pas d’ironie, pas de spécificité, pas de subtilité.

Dans l’ensemble, si Soumission n’est pas si mal écrit par rapport à ce que j’ai pu en dire avant de l’avoir lu, le lecteur s’y ennuie ferme, comme les personnages du roman. Le roman lu, je m’interroge sur la platitude et la vacuité du texte que propose Houellebecq. L’auteur est prix Goncourt, n°1 des ventes en France, en Italie et en Allemagne, il est l’écrivain français actuellement le plus connu et étudié à l’étranger ? Quelle tristesse.