En miroir

Vendredi soir, un jeune homme m’aborde dans le métro. Certain de me connaître, incertain sur le prénom. C’était Florian, qui a quitté l’entreprise début 2009. Je m’en souviens bien, je n’avais pas d’affinité avec lui. (Il aimait organiser des pronostics collectifs sur les résultats de compétitions sportives). Il avait visiblement envie de parler, m’a taillé une de ces bavettes, on l’aurait mangée en tartare. Très agréable : j’aurais peut-être bien plus de choses à échanger avec lui aujourd’hui que je n’en avais alors. Vous savez, la vie qui a passé, qu’est-ce que tu deviens, ah, tu te souviens ? etc. Bellecour-Valmy, quatre bonnes minutes.

À midi, dans la file d’attente d’une sandwicherie pour ingénieurs pressés, un jeune homme attend devant moi. Parfois de trois quarts, il laisse entrevoir un air mutin qui connecte instantanément deux de mes neurones qui ne s’étaient pas abouchés depuis dix ans. Je lance, à peu près sûr de moi, avec réponse et grand sourire immédiats :

— Bonjour ! tu n’aurais pas fait l’école centrale de Lyon par hasard ?

— Si, avec toi !

Je serais aussi bon physionomiste de casino que piètre instituteur pour appeler mes élèves : excellente mémoire des visages, affreuse mémoire des prénoms et des noms. J’avais peu d’affinité avec David (bien que je l’eusse soupçonné confraternel) ; j’en aurais certainement plus aujourd’hui. Notre responsable d’option génie civil l’avait hébergé et il repartait au Canada, où il habite désormais. Savait-il qui était Michel Tremblay, ou Patrice Desbiens ? Mais non, vous savez, la vie qui a passé, qu’est-ce que tu deviens, ah, tu te souviens ? quinze bonnes minutes. Je promis toutefois une bière à son prochain passage, ne laissons pas tout s’évanouir.