Les six symphonies de Tchaïkovski

 

 Pouet !

Sur une période de dix jours et en trois concerts, Leonard Slatkin a dirigé l’orchestre national de Lyon dans les six symphonies numérotées de Tchaïkovski. Et sans partition, s’il vous plaît. Ce n’est pas si fréquent en France, et en plus de cent ans d’existence de ce qui est aujourd’hui l’orchestre national de Lyon, la troisième symphonie de Tchaïkovski n’avait apparemment jamais été jouée dans la ville.

Il n’a pas donné Manfred, vaste fresque orchestrale et autant symphonie que les six autres, certes déjà entendue à Lyon il y a quelques années, mais au regret des amateurs qui l’apprécient particulièrement.

Habile répartition, comme souvent lorsqu’on veut donner l’intégrale d’un corpus et que certains morceaux sont moins bons que d’autres : premier concert avec les symphonies numéros 1 et 4, second avec les 2 et 5, puis troisième avec les 3 et 6.

Premier concert. La première symphonie est plutôt réussie, particulièrement les deux premiers mouvements. Le public a applaudi (à juste titre) le mouvement lent. La quatrième est ratée : Slatkin n’impose aucune tension, ménage de trop longues pauses et ralentit souvent de manière outrée dans les deux mouvements rapides extrêmes, ce qui donne un résultat vulgaire et incohérent. Le scherzo en pizzicati est le point fort de son interprétation : les cordes sont bien coordonnées, la vague mélodique progresse irrésistiblement. La partie trio du scherzo n’a pas été réussie, en revanche. Trop molle. Les bois n’ont pas été suffisamment dans la veine d’une fête populaire ou de villageois avinés, comme vous voudrez, qui aurait convenu à ce passage.

Second concert. Slatkin a très bien réussi la deuxième symphonie ; il a donné de la cinquième une interprétation exceptionnelle. Contrairement à ce qu’il avait fait dans la quatrième, sur l’ensemble de la cinquième il a parfaitement maîtrisé les contrastes de tempi. Il est parvenu, en prenant son temps, à laisser se déployer l’ampleur des phrases musicales du morceau, sans heurt. Du point de vue sonore, les équilibres furent somptueux : cordes et cuivres, cordes et bois, chaque groupe est intégré à l’autre dans la même nuance, mis ponctuellement en avant lorsque la phrase le nécessite, et les accents subtilement distillés. Le pupitre de cors, soyeux, s’est couvert de gloire, ceux de violoncelles et contrebasses également. (Slatkin se tourne souvent vers les cordes graves pour les diriger plus spécifiquement, leur conférant un poids qui les met légèrement plus en avant que les violons et altos.) J’ai souvent pensé, lors de ce concert, au vieux Karajan (dans les années 1980) dans ces symphonies. Ayant une tendresse particulière pour la cinquième, je dois dire que j’ai été ému aux larmes. Slatkin a réussi ce soir-là l’un des meilleurs concerts de la saison, alliant le grandiose à l’émotion, dans un fini orchestral superbe.

Troisième concert. On n’aura pas retrouvé, pour ce troisième concert, le niveau atteint quelques jours auparavant lors du magnifique deuxième concert. Slatkin est banal dans la troisième symphonie, il ne parvient pas à conférer un tant soit peu d’unité à cette pièce dont les mouvements sont par nature disparates. Le cor solo, parfait, a néanmoins tiré son épingle du jeu. Dans la sixième, Slatkin crée une intensité dramatique dès les premières mesures, en prenant un tempo très lent (et soutenant toujours fermement les cordes graves). Son premier mouvement est bien réussi. Sa valse boiteuse qui suit a manqué quelque peu d’ironie et de saveur à mon goût, mais rien de rédhibitoire. Il est resté modéré dans le scherzo. On aurait aimé un soupçon de pétillant et de virevoltant en plus, mais enfin, je préfère cette option interprétative à plus de débraillé et de vulgaire, danger qui peut à l’occasion guetter Slatkin. L’adagio final portait bien son poids de douleur, sans être trop alangui toutefois. Basson solo, trombones, contrebasses et violoncelle furent impériaux. Une belle interprétation dans l’ensemble. Mention spéciale au timbalier solo récemment arrivé au sein de l’orchestre, élégant, précis, et qui aura montré sa maîtrise dans cette sixième symphonie comme dans les cinq autres.