Mireille et les couvercles

 

Dans la cuisine, bis.

Au sein d’une famille de peu de moyens la mère prépare la soupe du soir, attendue par le père et les enfants. L’espace n’est pas bien grand : la soupe cuit sur le poêle à bois, qui chauffe cette pièce à la fois cuisine, salle à manger et peut-être salle de bains. La mère y a aussi nettoyé du linge plus tôt dans l’après-midi. Elle est prise dans une discussion, avec le cousin passé boire un canon, ou distraite par un élément extérieur ; peut-être s’évade-t-elle simplement un instant de son quotidien difficile en regardant un oiseau au loin dans le jardin, ou une taupinière qui se forme sous ses yeux. Voulant remuer le contenu du faitout qui fume, elle soulève le couvercle brûlant à l’aide d’un torchon, sans trop y penser, puis le repose sur la paillasse à côté du poêle, sa grosse cuiller en bois dans l’autre main. Elle n’a pas vu que le savon qui lui a servi pour sa lessive s’est retrouvé sous le couvercle… Après avoir touillé les légumes, elle replace le couvercle sur le faitout.

Ce n’est que quelques minutes plus tard, alertée par la mousse qui déborde sous le couvercle, qu’elle s’aperçoit de la catastrophe : la soupe a fini de cuire avec le savon, tombé dans le faitout parce qu’il avait collé au couvercle un peu plus tôt. Ce soir-là, la famille n’a pas mangé.

Mireille m’a plusieurs fois raconté cette histoire, m’expliquant ainsi pourquoi elle ne reposait jamais un couvercle sur sa face intérieure sur un plan de travail, prenant bien soin au contraire de le retourner. J’ai depuis moi aussi gardé cette habitude.