Quatrième visite décennale

La quarantaine approche comme un de ces premiers soirs d’hiver, dont on craint de se relever au lendemain d’un automne indien dans une grisaille sans fin à laquelle ne pourra succéder qu’une nuit plus longue. (Je parle bien sûr de la quarantaine d’âge, pas de l’ostracisme déjà manifeste des jeunes inquiets d’établir entre eux et moi une zone-tampon à même de rassurer leur fraîcheur d’une contagion possible.) Avant de céder aux obligations de ce nouvel âge – avant donc de m’acheter une voiture rouge, une montre suisse et un minet latin – il me reste un peu de temps pour ce point d’étape.

Trois talents de ma jeunesse désormais disparus

  • Alimenter régulièrement ce petit chosier de billets dans un style qui se voulait original mais trahissait le lecteur trop influençable de Terry Pratchett et Alexandre Vialatte ;
  • Incarner sur des scènes confidentielles des vieillards ridicules dans leur carcasse d’adolescent ou, une seule fois, un monsieur digne repassant en caleçon la chemise qu’il allait enfiler ;
  • Affronter le lendemain d’une bouteille de cognac avec la grâce d’une rose après l’ondée.

Trois talents par la maturité révélés

  • Survivre à des épreuves violentes (courir, voir des amis, aller au bureau) sans vomir d’angoisse avant, ni d’épuisement après ;
  • Gagner l’admiration de la génération montante – mi-laxiste, mi-analphabète – en détectant sans faillir ses fautes d’accord, ses erreurs typographiques et ses participes indûment remplacés par des participes passés ;
  • Organiser ma pensée sous forme de liste facilement assimilable par un public peu intéressé.

Trois talents d’un siècle à l’autre conservés

  • Charmer, par un indicible mélange de canaillerie, de manières surannées et de bonnes joues qu’on rêverait de pincer, les dames plus âgées que moi ;
  • Tenter de séduire certains messieurs au moyen d’un baguenaudage si discret ou si maladroit qu’il n’entame pas leur patience et ne provoque aucun effet ;
  • Savoir que les éléments d’une liste se terminent par un point-virgule sauf le dernier qui exige un point.

Pour reprendre l’expression de Georges Marchais – référence déjà datée dans ma prime jeunesse, tiens-je à préciser – il me semble que cette relative vieillesse a, jusqu’à présent, un bilan globalement positif.