vendredi 25 août 2017

Sac à dos, sac à dos !

En ces temps d’attentats, une procédure de sécurité inutile s’est répandue un peu partout depuis deux ans. Lieux publics, commerces, bureaux : peu ne sont pas concernés. Il s’agit simplement de faire ouvrir les sacs à dos. Un agent de sécurité y jette un regard plus ou moins rapide, et vous laisse passer.

Sac à dos, sac à dos ! On n’y échappe plus. Le matin en arrivant à mon lieu de travail, après déjeuner en y remontant. (On ne sait jamais ce qui pourrait se retrouver dans votre sac à dos entre 8 et 13 heures, mieux vaut contrôler plutôt deux fois qu’une.) Le midi, en entrant dans le centre commercial. En fin de journée, lorsqu’on sort de chez son disquaire favori, et même si aucune alarme ne s’est déclenchée lors du passage du portique contre les vols. À l’entrée des musées, des bureaux de vote, etc.

Ce qui m’agace, c’est l’absence de recul, et pour tout dire la bêtise avec laquelle cette consigne est appliquée. Sans compter son côté systématique et usant, au bout de la cinquième fois de la journée. Mon sac comporte trois compartiments, mais on ne me demande jamais d’ouvrir les deux petits. Et on ne regarde jamais au fond du compartiment principal. Pendant les quelques instants où je suis arrêté, cinq dames ont eu le temps de passer derrière l’agent de sécurité, chacune avec un sac à main. Mais non, les sacs à main ne sont pas contrôlés, même ceux qui sont plus volumineux que mon sac. Je suis bien idiot, je devrais abandonner le sac à dos pour le sac à main. Devant moi, on fait ouvrir une petite valise à roulettes. Aussitôt ouverte, on la fait refermer, sans même que l’agent ait fait mine d’essayer de regarder un peu son contenu ! Quel est l’intérêt ?

Soyons sérieux : soit on installe des dispositifs lourds, couteux et invasifs similaires à ceux qu’on voit dans les aéroports, et on embête vraiment en contrôlant tout le monde (le contrôle acquérant ainsi un semblant d’efficacité), soit on ne fait rien. Tout intermédiaire ne sert à rien, à part faire râler les propriétaires de sac à dos qui n’ont rien à se reprocher.

mardi 6 janvier 2015

Ce qu'on devrait ne pas lire en 2015, dans les bons ouvrages comme ailleurs

On lira cette année un certain nombre de livres, magazines, journaux, textes imprimés ou sur internet. On aimerait ne pas y trouver certaines facilités, incorrections, tournures impropres.

Comme chacun sait… est une entrée en matière trop souvent suivie d’une expression qui vous fait bondir parce que non, vous ne saviez pas. Chacun ne sait pas toujours.

Échecs. Et le reste n’est qu’une question de technique. est une conclusion souvent placée à la fin d’une partie dont le commentateur n’a pas la place, ou l’envie, de commenter tous les derniers coups joués. Cette phrase semble indiquer que la fin de la partie en question est simple, or fréquemment lorsqu’on la lit même pour les meilleurs joueurs la partie sera complexe à terminer, il faudra déployer toute son intelligence pour la gagner. Commentateurs paresseux, n’abusez pas votre lecteur. Particulièrement avec des phrases qui disent l’opposé de ce que vous vouliez dire.

Notes de bas de page. On souhaiterait justement les lire en bas de chaque page d’un livre et non en fin de volume. Quel tue-l’amour que de devoir faire le va-et-vient entre ce que vous lisez et un ensemble de notes regroupées ! Cela nécessite deux marque-pages (à moins de traîner à chercher partout à quelle note vous en êtes) et, surtout, cela casse l’élan de la lecture.

Échecs, suite. Dans bien des films et romans on trouve une scène où deux personnages jouent aux échecs. Qu’un romancier ne sachant pas jouer aux échecs veuille inclure un tel passage dans son livre ne pose aucun problème. En revanche, il doit respecter le vocabulaire du jeu : en français, les noms des pièces sont roi, dame, fou, cavalier, tour et pions. Pas de reine ni de cheval ! Soit dit en passant, en allemand la dame est die Dame, alors qu’en anglais c’est la reine, the queen. Le cavalier est également un cavalier en anglais, a knight, alors qu’en allemand c’est un sauteur, ein Springer. Le fou [du roi] français est un évêque en anglais, a bishop (en portugais et en islandais également), tandis qu’en allemand il est nommé der Läufer, le coureur (comme en néerlandais, danois, suédois, hongrois…). Les tours sont également des tours en allemand, Türme, mais pas anglais où l’on dit rooks. Le mot vient du persan et désigne un char de guerre comportant une fortification, tiré par des éléphants. Les éléphants ont disparu et la tour est restée. Les pions, pour finir, en sont aussi en anglais, pawns, mais ce sont des paysans en allemand, Bauern.

Passages en grec ancien, latin ou tout autre langue, non traduits. On en voit encore dans pas mal de livres de sociologie ou philosophie, plutôt dans des éditions qui commencent à dater, mais pas seulement. Le lecteur n’est pas toujours polyglotte, et même s’il a fait du latin, ce n’est pas une raison pour supposer qu’il le maîtrise encore sur le bout des doigts au point de traduire Sénèque à vue.

Soyez pédagogues, le lecteur adore apprendre, tomber sur un détail dont il n’avait pas connaissance, découvrir des subtilités. Et vous le flatterez en expliquant des choses qu’il sait déjà.

mercredi 3 octobre 2012

Six ans : bientôt l'âge de raison ?

Le 2 octobre 2006, j’étais le dix-neuvième salarié de l’agence de Lyon ; nous sommes maintenant pile cinquante.

Ma pile de feuilles de brouillon, commencée le jour de mon arrivée, diminuée au fur et à mesure des besoins, augmentée au fil des impressions ratées et autres gâchis de collègues, faisait ce matin presque 11 centimètres de haut (un mille feuille, quoi).

J’ai effectué des déplacements dans quatre pays étrangers : l’Allemagne, l’Arménie, la Belgique, la Chine, et ai travaillé sur des projets situés dans cinq pays étrangers : l’Arménie, la Belgique, la Chine, la Finlande, le Royaume-Uni.

A vol d’oiseau, le projet le plus proche sur lequel j’ai travaillé est situé à 7 kilomètres de mon bureau, le plus lointain à 10 000 kilomètres environ.

J’ai fait au moins 32 fois l’aller-retour Lyon-Paris dans la journée.

J’ai eu l’occasion de travailler sur des projets concernant une quarantaine de centrales nucléaires en service, en construction ou en projet.

De près (il m’arrive de faire encore quelques trucs sur le projet pour lequel j’ai été embauché) ou de loin (une heure ou deux), j’ai travaillé sur 21 projets.

Un musée, deux barrages et un bâtiment traditionnel étaient ou sont encore parmi les ouvrages sur lesquels je suis intervenu.

Je n’ai jamais changé de place, ni de chaise, ni de bureau, et je pense que sur les dix-neuf collègues présents il y a six ans, seuls deux pourraient dire la même chose.

Près de 350 croissants et pains au chocolat, que j’aurai achetés avec gourmandise, ont rythmé certaines pauses café comme celle de ce matin.

Trois plantes, dont deux bonsaïs, ont verdi plein ouest à ma fenêtre, en regardant la basilique de Fourvière.

dimanche 23 septembre 2012

Pour ne pas s'en prendre une (de veste)

Ça m’énerve, tous ces gens qui portent costume ou simple veste avec un jean, et qui la boutonnent n’importe comment. Alors, si vous portez une veste, que les choses soient claires une bonne fois pour toutes.

Si vous êtes à l’intérieur, ne boutonnez pas votre veste. A moins qu’il n’y ait pas de chauffage et qu’il fasse moins dix dehors, qu’il y ait un méchant courant d’air, que l’isolation soit celle d’un bâtiment du début des années 1970, bref, à moins que vous ayez une raison calorique de le faire, votre veste reste déboutonnée. Ce vêtement est fait pour être porté ainsi. Le nouveau petit jeune qui présente la météo à la place de Laurent Romejko, là, les deux boutons de sa veste bouffonnement attachés alors que sous les projecteurs il doit crever de chaud le pauvre, laissez-moi rire.

Vous êtes dehors, il fait chaud ; vous êtes au soleil ; il n’y a pas de vent et la température est printanière ou estivale : votre veste est déboutonnée. Si vous voulez faire le pingouin, choisissez la banquise.

Vous êtes dehors, il fait frais, ou froid ; vous n’avez pas de manteau : vous pouvez boutonner votre veste. Enfin !

Oui, mais.

Votre veste comporte (sauf costume de scène pour lequel je décline toute responsabilité) de un à quatre bouton(s) qui peuvent s’attacher, que la veste soit croisée ou non. Le bon goût parfaitement objectif et absolument incontestable me pousse alors à énoncer les principes indépassables suivants.

Si la veste est pourvue d’un seul bouton, vous le boutonnez (mais je sais que vous y auriez pensé).

Si la veste a deux boutons, vous ne boutonnez que le seul bouton du haut. Jamais les deux, c’est moche et vous seriez engoncé. Jamais le seul bouton du bas, c’est très moche et la veste bâillerait.

Si la veste a trois boutons, vous boutonnez le bouton central. Ceci vous confère l’aspect décontracté et idoine qui sied au porteur de veste à trois boutons. Vous pouvez à la rigueur boutonner les deux boutons les plus hauts, perdez alors un point de décontraction mais gagnez un point de sérieux. Voyez Cary Grant dans un Hitchcock, il fait cela à merveille. Vous ne boutonnez jamais les trois boutons, auquel cas c’est très moche et vous seriez très engoncé. Vous ne boutonnez jamais les deux boutons du bas, auquel cas c’est vraiment très moche et la veste bâillerait vraiment ; vous ne boutonnez jamais, mais vraiment jamais le seul bouton le plus bas, quelle horreur. Et la veste, tout ça.

Si la veste a quatre boutons, félicitations ! c’est que vous venez de vous marier. La circonstance vous impose une solennité légèrement compassée, qui, si elle n’est heureusement que temporaire, vous oblige le plus humble respect des convenances et de votre belle famille. La veste restera donc déboutonnée ; si les boutons devaient être attachés (voir éventualités météorologiques ci-dessus), boutonnez les trois du haut. Rien d’autre.

A moins éventuellement d’être jeune marié (et encore), vous ne portez évidemment pas de veste à quatre boutons, quelle idée !

lundi 4 juin 2012

Dilemme, avec deux m

En France, on accorde généralement une grande importance à l’orthographe, comme si c’était l’alpha et l’oméga d’un bien-écrire. Certains peuvent s’en arracher les cheveux, d’autres n’y accorder aucune importance, d’autres encore se targuer de maîtriser le pluriel des noms composés ou l’accord du participe passé des verbes pronominaux. Il est vrai que le français n’est pas réputé facile du point de vue orthographique ; et s’il n’y avait que cela… Dans l’inconscient collectif l’orthographe est devenu comme une valeur refuge pour laquelle il est de bon ton, clament ses plus ardents thuriféraires, d’en connaître les plus secrets arcanes.

Le plus drôle est qu’à une époque pas si lointaine, une grande liberté ne choquait personne : dans un même texte, un mot pouvait par exemple être orthographié de plusieurs façons différentes. Il y avait bien quelques règles, mais elles pouvaient varier d’une région, d’un écrivain voire d’un texte d’un même écrivain à l’autre. Cela a quand même perduré près de mille ans, des Serments de Strasbourg (premier texte en vieux français, datant de 842) jusqu’aux débuts du XIXe siècle. Voltaire a paraît-il (je n’arrive pas à vérifier si c’est vrai ou non) eu le premier l’idée d’écrire -ais et -ait les terminaisons des verbes conjugués aux personnes du singulier à l’imparfait, c’est-à-dire de suivre la prononciation. Nombre de ses collègues écrivains ont continué longtemps d’utiliser l’ancienne graphie -ois et -oit ; temps béni, vous pouviez faire ce que vous voulez ou presque sans qu’on vienne vous le reprocher.

À la période romantique, les écrivains sont plutôt orthodoxes par rapport à leur prédécesseurs. Au premier chef Victor Hugo, qui pour ce que j’en ai lu est d’une régularité exemplaire, lui qui orthographie toujours ses innombrables mots rares de la même manière. L'apogée est atteint avec la IIIe République et l’école gratuite et obligatoire pour tous : l’orthographe est érigée en valeur républicaine. A priori, chacun peut donc en apprendre les bases dans sa jeunesse. Pendant des générations, l’apprentissage de l’orthographe va se répandre et être décliné sur tous les tons par tous les instituteurs de France. Cette entreprise titanesque aboutit à l’aura qui plane aujourd’hui autour de la matière.

Pourtant, sauf à vouloir briller dans les salons mondains ou pour faire le malin et écrire un billet casse-gueule comme celui-ci (et encore), il est à peu près inutile d’être bon en orthographe. On ne va reprocher à personne de ne pas savoir quand ajouter ou non un t à béni, ou qu’arcane est masculin. Ce qu’il faut refuser, en revanche, c’est de lire des textes bourrés de fautes, à l’heure où l’on ne sait que faire de correcteurs présents dans tous les logiciels de traitement de texte. Aucune excuse n’est valable : lisez ; relisez ; faites relire ; cherchez dans un dictionnaire, il en existe des milliers depuis celui de Vaugelas ; cherchez n’importe où ailleurs. Ce n’est qu’une question d’effort, et c'est tellement plus beau après.

mardi 10 janvier 2012

Patience et longueur de temps

Un de mes principaux défaut est l’impatience. Elle s’aggrave dans des circonstances qui sont propices à la nourrir ; elle disparait aussi (cela arrive) pour faire place à des phases de flegme qui m’étonnent moi-même. J’ai en tête quelques amis un samedi soir passé qui échangeaient, un peu après une heure du matin et alors qu’ils étaient en train de partir, à propos de la reconnaissance vocale de leurs téléphones respectifs. Cela a dû durer à peine cinq minutes, mais agacé et fatigué, j’ai proposé un peu sèchement à l’un d’eux qu’on discute le lendemain. Je me suis vu répondre aussi sèchement que le lendemain on ne se verrait pas. Je me souviens également d’une attente épique pour entrer au Grand Palais voir l’exposition Matisse-Picasso en 2002. Trois heures trente, stoïque, et sous la pluie encore. Jeune et bête... Je ne sais comment chacun ressent les réactions et attitudes de ses amis, que l'on parle d'impatience ou de quoi que ce soit d'autre, et qui jouent dans l’idée qu’on peut se faire d’eux en leur faveur ou en leur défaveur. Sans que cela puisse empêcher de râler par devers soi, me concernant je les prends en bloc et me rappelle ce que Montaigne disait de La Boétie. Tous nous avons nos caractères appréciables, détestables à des degrés divers, et savons bien ce qu’ils sont.

Cependant, j’aime les œuvres longues. Quand le format traditionnel d’une chanson est de quelques minutes, celui d’une symphonie peut osciller entre une demi-heure et une heure (je passe les opéras de Wagner). J’aime ce temps qu’il faut pour l’entendre : il implique de s'arrêter et d’accorder à la musique le temps qu’elle demande, de ne pas passer à autre chose, de s'ancrer. Cela aère et « occupe » dans le découpage d’une journée. Dans nos activités professionnelles, on court à droite et à gauche, on essaie de régler des problèmes parfois dans l’urgence, on veut des réponses immédiates. Je n’ai pas forcément envie, dans le cadre d'un loisir, de suivre ce rythme. Je serais malheureux de n’écouter de la musique que par lot de dix chansons de courte durée (même s’il est vrai que j’en écoute peu en proportion, et qu'une chanson d'Orelsan fait bien de ne durer que trois ou quatre minutes). Heureusement les symphonies de Mahler et les sonates de Beethoven font un bon contraste. Ne pouvoir lire que des romans d'Amélie Nothomb composés en corps 32 rendrait bien triste. Il fallait que Les Frères Karamazov pèsent leur bon millier de pages : on s’y installe, on en goute la saveur et on le peut seulement parce que Dostoïevski a pris cet espace pour plonger dans une intrigue aussi touffue. C’est que la longueur et la durée permettent à la fois l’architecture, le développement, la grandeur.

La concision convient à d’autres choses.

vendredi 16 décembre 2011

Liste de saison

Voici la saison du houx toxique et piquant, des chansons mièvres et des repas trop riches ; les enfants s'appliquent en tirant la langue, ils découpent des catalogues mercantiles, ils collent des photos de jouets guerriers ou de poupées sexistes sur des lettres qu'ils décorent avec des feutres rouge et vert. Bref, la magie de Noël fait rage et pousse les âmes pures à commettre des listes. Le Jovial Barbu devant déjà pressurer ses lutins épuisés, ma fibre sociale détourne de lui mes pensées, tandis que ma fibre mesquine les oriente vers un autre.

Voici donc ma liste au Père Fouettard :

  • Tous les hommes, peu importe leur âge, qui, sur des vêtements civils, portent une écharpe aux couleurs, nécessairement hideuses, d'une équipe de foot. Ô Père terrible, étrangle-les dans ces oripeaux criards, serre jusqu'à ce qu'ils verdissent, abandonne-les où la neige les recouvrera, enfin beaux, comme des sapins enguirlandés de rouge, de bleu et de jaune fluorescent.
  • Toutes les demoiselles, hautaines et anguleuses, au coude desquelles pendouille un sac douloureux, qu'elles projettent dans les côtes des passants qu'elles bousculent en leur reprochant du regard de partager leur trottoir. Ô Père vengeur, arrache-leur ce bras cassé et sers-t'en comme d'une fronde, de ce membre désolé, fais-le tournoyer et propulse se maudit sac sur ces maudites pimbêches.
  • Toutes les mêmes, dont la vanité insulte l'esprit humain en s'acharnant à tenir à bout de bras ce que des ingénieurs se sont ingéniés à faire tenir dans une poche. Ô Père impitoyable, fais-les disparaître, ces monolithes noirs, fais-les-leur bouffer, jusqu'à ce fil blanc qui amène à leurs oreilles comme des fanfares de fourmis.
  • Tous ces messieurs, qui n'existaient pas il y a un mois mais qui semblent avoir remplacé soudain la cohorte aux écouteurs posés sur l'oreille, tous ces messieurs qui exhibent toute une maroquinerie monogrammée, qui montrent ce LV mégalomane comme les péronnelles leur pomme croquée, tous ces hommes-sandwiches auxquels je n'ai rien d'autre à reprocher que cet enthousiasme à être marqué. Ô Père moqueur, exauce leur vœux, mais au fer rouge, à même la peau, et fais que le cheptel cesse de se croire libre.

Oh, oh, oh ! Voilà qui serait un joyeux Noël...

mardi 1 novembre 2011

Tics

  • Prendre un bâtiment industriel désaffecté ; le ripoliner, le peinturlurer de blanc, le fignoler au vieux rose ou au mauve ; le farcir d'art contemporain ; le baptiser selon sa fonction première. Exemples : à Roubaix, la Piscine ; à Lille, le Tri Postal ; à Lyon, la Sucrière.
  • Écrire un texte philosophico-rigolard d'une couleur unie sur un fond uni.
  • Peindre un monochrome ; photographier en noir et blanc un monochrome coloré ; se photographier devant un monochrome. Niche à prendre : se photographier d'une couleur unique devant une photographie noir et blanc d'un monochrome coloré.
  • Écrire n'importe quoi en lettres de néon.
  • Sculptures en plastique gonflable, en caoutchouc gonflable, en acier chromé imitant le plastique gonflable, en plastique imitant l'acier chromé.
  • Duchamp : l'urinoir ; Warhol : la soupe Campbell ; Starck : les nains de jardin. Les possibilités étant infinies, je suggère un moratoire.
  • Prendre n'importe quelle idée, neuve ou non ; l'utiliser tous les jours, encore et encore, pour construire une œuvre médiocre ; se filmer, ce faisant ; prétendre avoir voulu tracer le passage du temps.
  • Gonfler un mauvais jeu de mots jusqu'à emplir une salle de musée, ou l'almanach Vermot comme source de l'art contemporain.

dimanche 14 août 2011

Faux positifs

Promptu, -ue
(Adj. et subst. masc.) Qui est préparé à l'avance.

Peu après avoir composé ses Impromptus, comme pour se délasser, Schubert allait de cabaret en cabaret pour improviser très librement de la musique académique. Il réservait les salles bien à l'avance et invitait des critiques en vue. Heureusement, aucun de ces Promptus n'a survécu.

Quatschenzyklopädie der Musik, Till van Eulenspiegel, 1893

Cunable
(Adj. et subst. masc.) (Ouvrage) qui est imprimé après 1500.

Vente record, hier après-midi, quai Malaquais : M. René Conchon-Quinette, sergent-chef à la retraite, s'est séparé de l'intégralité de sa collection de cunables. Parmi les pièces les plus recherchées des amateurs : un lot de treize Premier de cordée, un de huit Mas Théotime et cinq œuvres complets de M. Alain Peyrefitte. Montant de la vente : 8,50€.

L'Officiel des ventes, 14 août 2011

Térieur, -eure
(Adj. et subst. masc., vx.) Qui est hors des limites d'un corps.

Bouffe ce que peux,
Dîne comme un roy.
Fais tout ce que veux,
Rien n'y changera.
Pâtés, faisans, oies
Finissent térieurs.
C'est le postérieur
Qui dicte sa loi.

Confessions d'un glouton, Raymond Rondelet, 1512.

vendredi 27 mai 2011

Bilan

Spécialité de Blois : la pizza. Spécialité de Tours : la pizza. Spécialité de Poitiers : la pizza. De Limoges : la pizza ; de Nevers : la pizza ; de Moulins : la pizza. De Brive, de Montbrison, de Tarare ? La pizza. À Roanne, nous avons mangé une choucroute.

*

Quand j'ai vu mes premières maisons à colombages en Alsace, je les ai admirées comme des choses rares et belles. Quand j'en ai vu en Bourgogne, je les ai aimées comme de beaux échos. À Moulins, je me suis persuadé que la Bourgogne était voisine. Puis il y eut Nevers. Et Tours. Et Poitiers, et Limoges, et Brive, et Tulle, et cetera. Il n'y a donc que dans les villes où je vis qu'il n'y en a pas ?

*

Bonne surprise : Saint-Étienne est très joli. Les façades des bâtiments y sont peintes en jaune, du canari au poussin.

*

Ce serait à refaire, je ne détesterais pas être François Ier : Chambord semble un peu calme à mon goût, mais les jeux possibles y semblent innombrables. Je jouerais à cache-cache dans l'escalier avec Léonard et, les longues soirées d'hiver, j'essaierai de compter les cheminées. Quand l'ennui pèserait trop, je prendrais la route et j'irais voir à Chenonceau le château se refléter dans le Cher. J'affronterais la vieillesse sans inquiétude : que le feu cesse de chauffer ma salamandre, que l'esprit vienne à me quitter, je ne m'inquiéterais pas d'oublier mon nom. Des indices, partout, aux murs, sur les portes, gravés sur les plafonds : F, F, F... je l'ai sur le bout de la langue... F...

*

Plutôt Blois que Tours, Moulins que Nevers, Limoges que Poitiers.

jeudi 15 avril 2010

Mots

Kiwi
(N.m.) Oiseau pittoresque, aptère, antipodéen.

Perdus dans la forêt, abandonnés des hommes, accablés de malheur, nous préparions notre âme à Dieu lorsqu'un cri perça notre désespoir. Kiwiiiiiiiiiiiiiiiii ! Kiwiiiiiiiiiii ! Craignant quelque nouveau diable, redoutant une mort atroce, nous resserrâmes les rangs et lui fîmes face. La bête survint : sa vue, son cri, sa chair nous redonnèrent goût à la vie. Tel son cri, tel fut le nom que nous lui donnâmes.

Abel Tasman, Onze avonturen op een continent erg grappig, 1643

Potomac
(N. pr.) Fleuve autochtone nord-américain.

La vallée s'étendait devant nous, large, fertile, verdoyante. Des animaux puissants et cornus y paissaient : de nos vaches ils avaient la silhouette placide ; de ma grand-mère, les épaules bossues ; des éléphants d'Asie la taille phénoménale. Le fleuve, boueux et bouillonnant, charriait des troncs d'arbres semblables à des piliers de cathédrales. Nulle part auparavant ne m'avaient à ce point frappé la grandeur, la puissance, la majesté de l'œuvre de Notre Créateur.

Voyant cette terre féconde, ce fleuve riche d'alluvion, ces bestiaux lourds de viande, je crus comprendre la prospérité illogique des sauvages qui nous avaient accueillis. J'ai découvert le pot aux roses, dis-je à mon guide. Il tira un instant sur sa longue pipe de bois, méditant sa réponse. Non, me dit-il en un souffle, vous découvrez le Potomac.

Robert Batts Fallum, Letters to General Abraham Wood, 1671

Cacochyme
(Adj.) Valétudinaire, égrotant, souffreteux.

Comment, Monsieur, devrais-je ne point m'échauffer ?
Ma bile bouillonne, ma lymphe émulsionne,
Enragées, de fureur, mes humeurs s'abîment !
Ah ! Par un charlatan, s'entendre déclarer
Que son foie, que son coeur, que sa rate fonctionnent ;
Fi ! Gravissime erreur : je suis bien cacochyme !

Molière, L'hypocondriaque agressif, 1673

jeudi 11 février 2010

Zeitgeist

Questions en suspens

  • Comment communiquer ? Comment passer la barrière de la timidité, de la gêne ou de l'inconfort ? Comment trouver les mots justes sans choquer l'interlocuteur ni affadir sa propre pensée ? Comment faire passer l'autre avant soi-même malgré l'orage des sentiments, la tempête de tristesse, les éclats de joie provoqués par sa conversation ? Bref, comment échapper à l'égoïsme ?
  • Comment aider ? Comment comprendre sans interroger, réconforter sans pontifier ? Comment ne pas s'immiscer ni s'éloigner ? Comment éviter les risques de l'indifférence et de l'indiscrétion ? Comment faire sentir sa présence sans l'imposer ? Bref, comment se résoudre à n'être que là ?
  • Comment consoler ? Comment aller au-delà de sa propre tristesse pour éponger celle de l'autre ? Comment espérer y pouvoir quoi que ce soit ? Comment faire fi de cette impuissance et oser malgré tout ? (Mais qu'oser ?) Bref, comment faire, pour une fois, mieux que le pitre ?
  • Comment dire à ses amis qu'on les aime ? Mieux, comment être vraiment à leur côté ?

Question résolue

  • Comment écrire un billet à l'infinitif présent ?