Un peu avant minuit près du débarcadère

Je marchais dans Lyon endormie, de retour du repas annuel entre collègues. Il s’était prolongé par un pot avec les meilleurs d’entre eux. Nous revenions des Brotteaux vers la Presqu’île, petit groupe qui avançait dans les rues dépeuplées. Les collègues obliquaient les uns après les autres, l’un vers Villeurbanne, tel autre dans une petite rue du sixième. Lorsque nous arrivâmes en vue de l’hôtel de ville, il n’y avait plus qu’une personne à côté de moi. Seuls avec la bruine qui coulait sur nos visages. J’avais déjà écrit quelques mots à propos de Julien, ici et . Il faisait trop chaud pour une ambiance façon Simenon ; en descendant le long du quai du Rhône, je pensais plutôt au vers d’André Breton qui sert de titre à ce billet (bien qu’il fût près d’une heure du matin).

Julien aurait dû objectivement traverser le Rhône en poursuivant sur le pont Morand, c’est le chemin direct pour rentrer chez lui. Il a préféré longer le quai et nous offrir quelques minutes supplémentaires de quiétude commune.

Je compris instantanément que ce petit détour était réfléchi, mais il ne disait rien. Lui comme moi ne sait peut-être pas parler aux gens ? Je me taisais aussi. Ce que nous avions bu éloignait la fatigue, à défaut de libérer la parole. Au pont suivant où nous nous sommes séparés, il s’est retourné doucement après quelques mètres. Il a souri. Les émotions s’expriment parfois enfouies dans les profondeurs du silence.