Glitter and be gay

Où l'Auteur fait croire qu'il a lu John Keats.
Glitter and be gay,
That's the part I play.

Ce n'est pas ce que vous croyez.

Quand Cunégonde chante cela, dans le Candide de Bernstein, elle est à Paris, riche de l'argent de la prostitution : elle se livre à un rabbin et un archevêque qui la couvrent de cadeaux somptueux. Et, tout au long de la chanson, elle oscille entre la haine de ce rôle qu'elle joue (Glitter and be gay) et l'amour de l'or (I'm oh, so glad my sapphire is a star, ha ha! / I rather like a twenty-carat earring, ha ha! / If I'm not pure, at least my jewels are!).

Cette chanson est merveilleuse d'ambiguité. D'un côté, la Cunégonde pleurnicharde geignant sur sa virginité perdue prouve qu'elle a encore le sens de la dignité ; de l'autre, ses refrains joyeux rendent tout à fait haïssables cette dignité rêvée. (On a exactement l'inverse dans Les Misérables où la déchéance de Fantine ne sert qu'à souligner la pureté de son âme.)

De fait, il m'a toujours semblé qu'il y avait une certaine élégance à briller et être gai, une certaine noblesse à être le pitre de service quand les gens autour de soi broient du noir, un certain héroïsme à glisser sur toutes les peaux de bananes, à butter sur tous les pavés, à se cogner dans tous les meubles pour tirer un sourire d'un flôt de larmes. Il me semble aussi, soyons francs, qu'il y a une certaine immodestie à admettre cela, surtout en ces termes - disons que la révélation de son immodestie est le prix à payer pour la vanité de l'Auteur d'un blog.

Ce soir, rien que pour ce billet, le héros est fatigué : il ne sera ni noble, ni élégant.

Ce soir, rien que pour ce billet, le héros en a marre du téléphone qui sonne, le héros veut qu'on le laisse écouter tranquillement l'Île du Mort de Rachmaninov, le héros n'a pas envie de travailler, le héros a du mal à dire des bêtises sur IRC, les calembours viennent difficilement au héros, le style du héros est lourd, les phrases du héros rampent et s'éternisent, les mots du héros suintent d'épuisement, le blog du héros a des relents nauséabonds d'auto-apitoiement : Notre héros était bien peu héros en ce moment-là.

Mais, notez, le héros persiste à parler de lui à la troisième personne du singulier : l'immodestie sied bien à l'humeur du héros, ce soir.

Que nous vaut, que vous vaut cette logorhée lacrymale ? Quelques vers de John Keats, trouvés par hasard dans The Loved One, d'Evelyn Waugh - à quoi sert de lire un des plus drôles auteurs anglais s'il vous cite traitreusement du Keats ? je vous le demande.

Darkling I listen; and, for many a time
I have been half in love with easeful Death,
Call'd him soft names in many a mused rhyme,
To take into the air my quiet breath;
Now more than ever seems it rich to die,
To cease upon the midnight with no pain,
While thou art pouring forth thy soul abroad,
In such an ecstasy!

Dès le prochain billet, j'en fais le serment, je redirai des conneries, je serai de nouveau superficiel et anodin, je ferai de mon mieux pour vous divertir mais il fallait que j'exorcise Keats. Pour finir, du Bernstein encore :

Enough, enough
Of being basely tearful!
I'll show my noble stuff
By being bright and cheerful!
Ha, ha ha ha...