Diverses avaries

Les températures sont fraîches depuis des jours maintenant, à tel point que la Saône est gelée, par endroits, sur presque toute sa largeur. Quelques nuits à moins dix encore et on envisagerait de pouvoir en faire la traversée à pied (sur un coup de folie), avant le dégel et les embâcles à venir, sur ce Saint-Laurent en miniature.

On nous dit de rester chez soi ; on sort tout de même mais pour se retrouver à l'intérieur au plus tôt : vendredi soir, récital de Nicolaï Luganski à l'auditorium. Je passe les raclements de gorge, les étranglements (rengaine de tous les concerts classiques, qui va probablement nous inciter à y aller beaucoup moins), le public français qui parle à haute voix, qui ne sait pas se tenir.

Mais le froid, le froid ! il était dans la salle aussi ce vendredi. Habituellement, le surnombre écrasant de personnes âgées est maintenu dans un cocon étouffant. Là, non. Du coup, défilé de manteaux de fourrure jusque dans la salle. Non que les bourgeoises du sixième abusent usuellement du vestiaire — c'est même plutôt l'inverse : le dernier accord à peine posé, elles fuient la salle de peur d'être ralenties, retenues enfermées, englouties par la foule dévalant les escaliers comme les nuées ardentes dégorgées d'un volcan, ou pire encore — mais le public était vraiment plus fourni en ragondin qu'à l'accoutumée. Ma voisine me couvrait la jambe gauche du sien pendant Chopin.

Plus particulièrement ce soir-là, elles devaient vouloir être aux premières loges pour avoir la griffe de l'artiste qui dédicaçait à l'issue du concert. Le vendredi, l'auditorium doit proposer des tarifs aux étudiants, il y a toujours bien plus de jeunes que les autres soirs. Ils étaient nombreux dans la file à attendre que le pianiste arrive : il s'était changé et avait revêtu une chemise et une veste à carreaux que mon père aurait pu porter dans sa jeunesse seventies. Pendant ce temps la plus parfaite rombière, dondon permanentée et surbijoutée, s'affairait du mauvais côté de la barrière flexible, se disant au fur et à mesure que le monde s'agglutinait que non, elle ne s'abaisserait pas à faire la queue. Je l'ai vue tenter de carotter la centaine de personnes déjà alignée, mais la pauvre n'a pas pu se baisser assez pour passer sous la barrière (très cocasse à voir). Je voudrais lui parler en russe !, me lâcha-t-elle en guise d'excuse, essayant de passer devant les deux gamins de 20 ans devant moi, médusés qu'un vison sur pattes quasi-sphérique essaie de les gruger comme au resto U. Pourquoi ne faites-vous pas la queue en russe ? lui rétorquai-je, suffisamment fort pour que tout le monde entende, bien content de ma bêtise bien sûr inefficace. Dans un geste surhumain, Joséphine-Eugénie, emportant la barrière avec elle au point de faire rappliquer aussitôt le vigile, parvint à se frayer un passage devant les trois personnes devant moi et à poser son programme sur la table. Elle s'excusa (en russe donc) auprès de l'artiste mais elle voulait vraiment lui dire combien son concert était, etc. Il signa et remercia d'un mot, interdit, désolé pour les suivants. Et madame repartit sous les rumeurs râlantes des badauds ayant assisté à la saynète, avec mon mépris le plus vif.

Commentaires

1. Le mardi 14 février 2012, 20:36 par Bill

Il eût été justice qu'il ne signât point (et en français, de surcroît).