Mort vs. Transfiguration

Combat arbitré par Richard Strauss - entrée gratuite. Et obligatoire.

Je pense que je préfère la Mort à la Transfiguration, personnellement. Mais de peu.

La Mort est belle, elle est puissante, elle est poignante, elle est violente. Lorsque sonnent les cuivres, lorsque retentissent les coups de tonnerre des percussions, lorsque grondent les cordes graves, la moëlle se recroqueville au creux des os, l'échine frissonne, le cœur se serre. Le mort se débat, l'orchestre s'agite mais la Mort les tient. Elle en fait trop, d'ailleurs, sans doute. Qu'a-t-elle besoin de convoquer le Jugement Dernier, ses trompettes et ses cataclysmes ? Elle va gagner, elle gagne toujours. Mais c'est la Mort de l'homme et l'homme aime le théâtre, il aime les effets, il aime le spectacle. Alors quitte à partir autant partir en un son et lumière. On a la mort qu'on mérite.

La Transfiguration est trop parfaite, ensuite, avec ses vents qui adoucissent les cuivres et ses cordes qui glissent sur les cordes. Je n'aime pas la perfection, elle m'ennuie. Voyez mes amis. Untel a mal au genou ; telle autre plante des couteaux à bout rond dans les mains d'innocents ; pour échapper - de peu - à une perfection menaçante, un troisième n'hésite pas à perdre une demi-incisive. Ce n'est pas la Transfiguration qui ferait de tels efforts pour me plaire. Elle avance, sûre d'elle, toute drapée de glissendi, enrobée de legato. Parfaite. On ne m'a pas si facilement, moi.

Et puis, pour tout vous dire, la Mort me semble plus aisée que la Transfiguration. La Mort est à la portée de tout le monde, chacun s'y prépare, personne ne l'oublie. Tandis que la Transfiguration surprend toujours l'homme. Il n'y avait pas pensé, dans sa hâte de mourir. On imagine bobonne, au chevet de son mari, se frappant le front du plat de la main et s'écriant : Léon, t'as oublié la Transfiguration. Il n'a pas sur lui la cinquantaine de violons qu'exige le Dr. Strauss pour une Transfiguration standard alors l'homme improvise. Il triche, il bluffe, il prétend voir déjà une vérité supérieure. Richard Strauss mourant : La mort est telle que je l'ai décrite dans Mort et Transfiguration. Et la Transfiguration ? Il ne sait plus trop, il hésite, il n'est plus trop sûr de lui. Parfois, l'homme oublie de tricher. Goethe, que ses sens abandonnent, demande qu'on ouvre la fenêtre pour laisser entrer la lumière ; ses proches, autour de lui, font mine de comprendre qu'il voit déjà la lumière d'Au-delà. Mehr Licht ! La supercherie était si tentante. Parfois encore, l'homme en a marre de tricher. Il fait mine d'ignorer bobonne, une fois de plus, et en remet la Transfiguration à un éventuel plus tard.

Tout cela pour dire quoi, au juste ? Que je mourrai à coup sûr mais que je ne peux vous garantir que je me transfigurerai, d'abord. L'effort me semble un rien excessif pour un mourant et je ne suis pas trop sûr de savoir comment l'on fait. Mais, surtout, que Mort et Transfiguration est une œuvre superbe, quoi que j'en dise, et que l'enregistrement d'Arthur Rodzhinsky est génial.

(L'honnêteté intellectuelle dont j'aime à croire qu'elle me caractérise m'impose cependant de vous dire que mon ami Olivier prétend que les fanfares de Mort et Transfiguration rappellent le thème du film Superman. Cela n'enlève cependant rien à ce qui précède.)

Commentaires

1. Le mardi 10 mai 2005, 07:12 par Virginie

Si je puis me permettre de rajouter un commentaire inutile, mais la tentation de citer Yves Cattin est toujours trop forte : mourir, ce n'est pas difficile, tout le monde y arrive. Même lui...