Pourquoi écrire ?

Selon mon professeur de philosophie, ne doit s'écrire que l'universel. Corollaire : l'écrivain peut ne parler que de lui-même, pourvu qu'il parle à tous. C'est une exigence de philosophe, un impératif moral, une condition nécessaire. (Mais pas suffisante : il faut le style. L'art et la manière.) À ce titre, l'autobiographie est le tube à essai idéal : le quotidien révèle le talent aussi sûrement que le nitrate d'argent, les chlorures. Ce qui précipite, c'est cet universel, c'est l'humain. C'est ce qui distingue, disons, Alan Bennett de tous ces footballeurs, starlettes et politiciens qui se font raconter leur vie.

Pour autant, cela ne répond pas à la question : pourquoi écrire ?

Ne croyez pas ces camelots qui, prenant un air pénétré, prétendent écrire pour leurs lecteurs : ce sont ou des charlatans ou des démagogues. Il faut écrire comme si ses parents étaient morts, dit Julian Barnes. Allons plus loin : comme si l'on était mort et les lecteurs aussi. Il ne manquerait plus qu'on doive écrire pour les lecteurs ! Écrire pour être lu, c'est renoncer : aux auteurs qui pourraient ne pas avoir été lus, aux sujets qui pourraient fâcher, aux mots trop compliqués pour finir. C'est ainsi qu'on écrit les tracts et les prospectus, mais est-ce écrire ?

Moins gentils, mais plus vraisemblables :

  • écrire pour boire et tendre sa couverture au coin des étals, comme une écuelle à la porte d'une boulangerie, se faire une tronche d'ivrogne grandiose qui aide à vendre, les ventes aidant à s'enivrer, l'ivresse finissant par tarir l'écriture, l'argent continuant à couler du nez violacé ; 
  • écrire pour coucher et coller son visage au cul des autobus, au nez des passants, au dos de pavés racoleurs, courir d'un même élan les dédicaces et les jupons, donner son numéro de téléphone pour toute dédicace, regretter envieusement le temps où les écrivains portaient les marques de la syphilis bien avant la rosette, finir à l'Académie et porter l'habit vert pour se prétendre encore tel, inventer des mémoires que ne croiront pas les anciens et que les jeunes ne liront pas ;
  • écrire pour avoir écrit et se replier en une retraite confortable après un unique chef-d’œuvre, promener sur les plateaux de télévision son élégance un peu poussiéreuse de théâtre désaffecté, patiner son humour et le ternir sous une couche de nostalgie vibrionnante, simuler une fécondité paresseuse et craindre l'aridité laborieuse, attendre en vain que les critiques évoquent le silence d'Ainola, ce qui n'arrivera jamais, personne ne se rappelle des silences, même de Sibelius, mourir oublié.

La vérité ne peut être que personnelle, contingente et partielle, sauf à jeter une pelote de pistes emmêlées comme les allées d'un labyrinthe éphémère et mouvant. Ma réponse du jour sera mièvre et humble. J'écris car on me le demande, comme un écrivain public. Mieux, j'écris parce que Romain me le demande : pour ce soir, je suis un plumitif amoureux, un amant épistolaire.

Commentaires

1. Le mardi 4 octobre 2011, 20:41 par Bill

Pas que, loin de là. J'ajouterais, ne serait-ce que pour l'exemple et la déclinaison, un ami littérateur, un essayiste amical.