La quille

Ma mère ne l'a su qu'à la toute fin décembre : la retraite, ça allait être pour bientôt, à la fin de la première semaine de janvier. Quel cadeau de Noël !

Elle aurait dû en avoir encore pour quelque deux ans, selon les réformes votées ces derniers temps, et la durée semblait toujours plus s'allonger, de mois en mois... Après avoir commencé à travailler plutôt jeune selon un système proche de l'apprentissage d'aujourd'hui, j'imagine son bonheur. Bon, elle était certainement loin de faire partie des gens les plus à plaindre, qui auraient travaillé longtemps dans des boulots fatigants physiquement. Pour autant, essayer de se placer dans l'état d'esprit des gens de la génération de nos parents, qui devait être le sien ces mois passés, c'est-à-dire qui voyaient la fin de quarante années de travail s'éloigner toujours un peu plus, n'est pas facile. Comment ressent-on ces derniers mois, qui terminent parfois ce à quoi on a pu consacrer sa vie ou une bonne partie de sa vie ? La majorité en a sûrement marre et veut passer à autre chose, que le boulot ait été stressant physiquement ou psychologiquement, qu'on ait fini sans n'avoir plus trop rien à faire (c'était semble-t-il le cas de ma mère) ou inversement qu'on ait de toute façon compté poursuivre un peu à la retraite après avoir travaillé comme un dingue avant. Pour ma mère, non, pas d'extra, merci bien.

Alors que faire ? On met devant soi tout un tas de possibilités (ma mère m'en a cité pléthore — de peur que je l'imagine végétant sur le canapé tout l'après-midi, devant des rediffusions d'Inspecteur Barnaby ?), sportives, culturelles, associatives. On dort plus, on glande plus, probablement. Pour commencer, on prépare l'abandon de la maison de banlieue parisienne pour la clémence de la Provence. Connaissant ma mère, qui aime sortir, faire les magasins, les musées, se balader dans Paris qu'elle connaît presque aussi bien que Roland (dont il a déjà été question ici), bref, qui est une pure parisienne, j'ai beaucoup de mal à imaginer qu'elle puisse partir s'installer dans un village de quelques dizaines d'habitants au plus — fût-il proche d'une ville moyenne — et laisser de côté son attachement à la ville et à tout ce qu'on y trouve. Si déjà les beaux paysages du Ventoux et des dentelles de Montmirail pouvaient lui apporter le repos, et l'inciter en sus à se remettre au dessin et à l'aquarelle... Quant à un retour fréquent ou définitif à Paris (Lyon ?), je prends les paris.