Triptyque ensablé

Volet premier : de la virilité.

Depuis la plus haute Antiquité, l'homme s'intéresse au grain de sable : ce n'est que face à lui qu'il révèle sa pleine mesure.

Sur une plage écrasée de chaleur, une petite fille fait œuvre d'architecte. Ses parents, tartinés d'huile et imbibés d'anisette, somnolent grassement sous leur parasol jaune et bleu. Une radio, à moitié ensevelie, braille et crachote ; pépère réveille bobonne : c'est l'heure des Grosses Têtes. (Ils aiment bien les émissions culturelles, avec bobonne.) La petite fille est un peu à l'écart, loin du bruit. Elle est toute menue dans son maillot de bain qu'elle a choisi elle-même ; elle porte un bob à fleurs roses ; elle a des sandales en plastique mauve. Avec des paillettes.

Elle s'était assise, deux heures plus tôt, sur un bout de plage bien propre. Elle avait étalé ses outils autour d'elle : la pelle et le râteau à gauche, le seau et le tamis à droite. Et elle avait fixé le sable un long moment, en fronçant les sourcils devant l'importance de la tâche à accomplir : il fallait une tour où la princesse attendrait son prince charmant, un donjon pour le chevalier noir, un fossé où dormirait le dragon. On aurait dit que le chevalier noir aurait emprisonné la belle princesse parce qu'elle refusait de l'épouser : alors, le prince serait arrivé sur son cheval blanc, le dragon l'aurait laissé passer (parce qu'on dirait que ce serait un gentil dragon, en fait), il aurait délivré la princesse d'un baiser (le prince, pas le dragon), et le dragon aurait mangé le chevalier noir (parce qu'on dirait toujours que ce serait un gentil dragon - la logique des petites filles est parfois cruelle).

Le palais prend forme, désormais : les douves sont noires de ce sable gras et humide qu'on trouve en égratignant les plages ; des murailles imposantes les surplombent, des tourelles les gardent, un pont-levis en charbon de bois les enjambent ; au sommet de la plus haute tour, une brindille est plantée qui doit porter sous peu l'étendard du prince charmant. La petite fille se lève et regarde autour d'elle, à la recherche du panache blanc qui marquera la victoire de la beauté galante sur la goujaterie. Elle s'éloigne un peu.

Quand elle revient, il n'y a plus de donjon, la muraille est éventrée, un ballon bariolé encombre les douves. (Il y a quelque chose de dessiné, sur le ballon. Un pokemon, peut-être.) Un petit garçon regarde fièrement la petite fille approcher.

Mon boulet de canon a eu raison de tes défenses. Rends-toi !

La petite fille part en pleurant se réfugier sous le parasol, elle ne le quittera plus de l'après-midi. Elle y attendra son prince charmant.

Commentaires

1. Le jeudi 29 mars 2007, 22:14 par Romain

roh...ah oui, un petit garçon qui parle comme dans les livres ? ("a eu raison de tes défenses...")

2. Le dimanche 1 avril 2007, 20:53 par Monster Bill

Pfff. Rabat-joie, Romain.

3. Le mardi 3 avril 2007, 01:34 par Pierre

C'est tout mimi.