Glenn Gould : les films pour la télévision canadienne

Sony vient de sortir un boîtier de DVD avec les grands concerts filmés de Vladimir Horowitz (y compris ceux pour la télévision), après avoir ressortis tous les films, pour la télévision canadienne, de ou avec Glenn Gould. Amateurs de piano, jetez vous sur ces merveilles !

Glenn Gould, mort prématurément en 1982 à presque 50 ans, fut un grand pianiste ; Glenn Gould fut un excentrique ; Glenn Gould fut un génie. Les films de jeunesse où il apparaît, plus tard ses propres films (dès le début des années 1960) sont déjà caractéristiques de tout ce qui allait suivre : le goût de la pédagogie, la clarté du propos, et un style pianistique bien à lui.

Dans un premier mouvement du premier concerto pour piano de Beethoven, allegro con brio, on le voit à 22 ans en train de ciseler avec beaucoup d'éclat un bloc d'un legato parfait, à faire pâlir tout ceux qui pensent que Gould ne sait jouer que staccato. Son interprétation est très rigoureuse, le son de son jeu est à se damner tellement il le maîtrise (comme une crème anglaise parfaite : liquide juste ce qui faut, pas trop claire, pas trop pâteuse non plus), même si l'enregistrement ne lui rend pas justice. Le dosage du contrepoint est, comme souvent avec Gould, remarquable : on entend toutes les lignes mélodiques, individualisées, qui se découpent et se mêlent avec une grande clarté. Pour les fans, on y voit aussi Gould diriger la musique de la main gauche dans les passages où seule la droite joue, avec cet air de prostré sur sa chaise, le dos déjà plus voûté qu'un vieux monsieur de 90 ans, le nez au ras du clavier, planant à 10 000 mètres de tout le monde, la tête dans la musique.

Un film de 1958 le montre dans un concerto en mineur de Bach, aux mouvements extrêmes très, très lents selon nos goût actuels. L'interprétation est à la fois molle et tendue (je ne sais pas comment il fait), c'est très romantique, il y a de la guimauve de partout et c'est trop long. Mais les images sont belles.

Pour son premier documentaire à la télévision (1961), Gould, la jeunesse insolente et en costume trois pièces mais débraillé, nous parle des Variations Eroïca de Beethoven et nous met une vraie claque : je ne connais pas de version plus engagée, ni de plus rapide d'ailleurs. Ces variations n'ont tout simplement jamais si bien porté leur nom. 19 minutes et c'est plié, et avec quelle dynamique sonore, quelle maestria encore, quand il faut habituellement entre 23 et 26 minutes pour jouer ce cycle selon les pianistes. Les quelques minutes de présentation de Gould sont limpides et intéressantes, ce n'est pas un sempiternel texte qu'on pourrait lire dans une pochette de disque. Petit bémol : pas de sous-titres, mais l'anglais canadien de Gould est facilement compréhensible.

Il y a tant de perles dans ces dix DVD : la démoniaque Valse de Ravel, dans la propre version de Gould, morceau d'anthologie même sans les glissandos de la version orchestrale ; des sonates avec violon avec l'ami Yehudi Menuhin ; de nombreuses interviews où transparaît l'humour discret mais ravageur du pianiste... Un jeu personnel et une intelligence rare sont à l’œuvre dans ces documentaires musicaux. J'en bois les images sans modération.